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Lettre ouverte à Vincent Peillon,
Ministre de l'Education Nationale
Monsieur le Ministre,
Le professeur de Mathématiques que je suis va se délecter dans l'une de ses activités favorites : une démonstration ... je vais vous donner, sauf votre respect, la preuve irréfutable que certaines argumentations que vous utilisez pour justifier votre projet de réforme des Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles, sont rigoureusement fausses.
preuve n° 1 : vous déclarez en parlant des professeurs de classes préparatoires:
« Il y en a qui font 6, 7 ou 8 heures supplémentaires. C’est ce qu’a pointé la Cour des comptes. Comment vous pouvez dire à la fois "8 heures, je ne peux pas faire plus, je suis surchargé", et faire 8 heures supplémentaires ? Si on travaille beaucoup, on fait ses 10, 9 ou 8 heures, mais on n’a pas au-delà de 4, 5 ou 6 heures supplémentaires » .
Monsieur le Ministre, vous vous trompez . Prenons l'exemple d'un professeur de Mathématiques en section MP devant une classe de plus de 45 élèves : son obligation de service est de 8 heures, mais il doit effectuer 16 heures car son programme l'impose (10h cours, 4h TD et 2h TIPE) . Ce professeur effectue donc 8 heures supplémentaires (HSA) qui lui sont imposées par les textes.
preuve n° 2 : vous déclarez en parlant des professeurs de classes préparatoires:
« Il y a des professeurs, et surtout les plus jeunes et ceux qui sont à la fois en lycée et en classe préparatoire, qui vont gagner avec cette réforme et d’autres qui vont perdre dans des proportions qui sont de 3%, 4% ou 5% »
Prenons donc, Monsieur le Ministre, l'exemple d'un jeune professeur agrégé de Sciences Physiques à l'échelon 4 (trois ans de carrière seulement ) devant une classe de 48 élèves, en filière PC . Il a une obligation de service de 8 heures, mais son programme lui en impose 14 (6h cours,2h TD,4h TP, 2h TIPE) .
Il fait donc 6 heures supplémentaires obligatoires. Votre réforme lui annule d'office le paiement de 2 heures supplémentaires, qu'il devra donc effectuer gratuitement, et diminue de 20% le taux de rémunération des 4 autres: malgré l'indemnité de 3000€ que vous proposez pour effectif pléthorique, la perte mensuelle s'élève à 433€ par mois. Le salaire brut de ce jeune agrégé étant de 2435€, votre réforme le privera de 11% de ses émoluments mensuels ... il est donc loin, très loin d'être gagnant !
N'hésitez pas, Monsieur le Ministre, à faire vérifier tous mes calculs par vos services ... ils n'y trouveront pas, aux arrondis près, l'ombre d'une epsilonesque erreur !
Prenons maintenant, Monsieur le Ministre, l'exemple de mon cas personnel : je suis professeur de Mathématiques en deuxième année PSI, je fais partie du corps des professeurs de Chaires Supérieures, échelon 5, et j'ai 25 ans de carrière.
L'effectif de ma classe étant lourd ( 47 élèves) , mon obligation de service est également de 8 heures , alors que mon programme m' impose de faire 13 heures (7h cours, 6h TD) .
J'effectue donc 5 heures supplémentaires obligatoires. Votre réforme annule d'office le paiement de 2 heures supplémentaires que je devrais donc effectuer gratuitement, et baisse de 20% la rémunération des 3 autres ; malgré l'indemnité de 3000€ que vous proposez pour effectif pléthorique, la perte mensuelle s'élève à 532€ par mois. Mon salaire de base étant égal à 3801€ brut, cela représente une perte de 10% sur mes revenus mensuels.
Qu'ai-je fait, Monsieur le Ministre, pour que l'on m'inflige une telle baisse de salaire ?
Pensez-vous que mon métier se limite à une simple présence de 13 heures face aux élèves, sans aucune préparation de cours, ni de correction de copies ?
Me reprochez-vous de participer toute l'année, gracieusement, à la surveillance de devoirs surveillés ?
Me reprochez-vous de participer toute l'année, gracieusement, à des forums ou autres portes-ouvertes destinées à encourager les futurs bâcheliers à se diriger vers des études supérieures ?
Me reprochez-vous d'avoir dispensé, gracieusement, à mes élèves, une séance de préparation aux concours en avril 2013, pendant les vacances de Pâques ?
Me reprochez-vous d'avoir participé, gracieusement, au mois d'août 2013 donc pendant mes vacances, à un stage "de remise en forme" destiné aux élèves de Terminales arrivant en classe préparatoire ?
preuve n° 3 : vous déclariez, le jeudi 5 décembre 2013 à l'Assemblée Nationale, «premier principe, mon attachement profond aux classes préparatoires » .
Et pourtant, en janvier 2010, au micro de France Inter, alors que vous étiez député, vous déclariez « je suis pour la suppression des Grandes Ecoles » et donc des classes préparatoires. Le lien suivant conduira le lecteur à une vidéo qui lui permetta de vérifier par lui-même : http://www.dailymotion.com/video/xbtw51_vincent-peillon-depute-europeen-par_news?start=25
Voyez-vous, Monsieur le Ministre, une vidéo et trois exemples chiffrés démontrent irréfutablement que vous répandez dans les médias de fausses affirmations à l'encontre des Classes Préparatoires.
Monsieur le Ministre, je pense que vous n'aimez pas les classes préparatoires ... vous êtes persuadé qu'elles sont socialement injustes. Vous pensez qu'elles sont réservées aux enfants des familles aisées : c'est une erreur, parce que vous confondez élève "méritant" et élève "favorisé" : nos classes accueillent des élèves de tout niveau social, du moment qu'ils fassent preuve de sérieux et de motivation, et qu'ils aient des résultats corrects en Terminale, disons une moyenne supérieure à 11-12 .
Un tiers de nos étudiants sont boursiers, Monsieur le Ministre...sont-ils des "favorisés" ?
Et voici le moment venu, Monsieur le Ministre, d'une dernière preuve ...
je suis moi-même un pur produit de ce fabuleux ascenseur social que constituent les classes préparatoires.
Né à Lens dans le Pas-de Calais, je suis fier d'être un Ch'ti et d'avoir passé ma jeunesse dans les corons. La mine, le charbon, et les terrils étaient mon quotidien, la silicose m'a enlevé un grand-père que j'ai à peine connu.
En rien, je ne regrette d'avoir fréquenté un collège et un lycée classés ZEP.
C'est à ma mère, et à mon père que je dois beaucoup ... ils ont eu la merveilleuse idée de m'inscrire un jour dans une petite prépa de Province à Arras, soutenus par une aide financière de l'état : une bourse d'études.
Voyez-vous, Monsieur le Ministre, je ne serai pas aujourd'hui, le seul enseignant de ma famille, si je n'étais pas passé un jour par les cases "Math-Sup" et "Math-Spé". Les classes préparatoires ont forgé mon destin, elles m'ont donné un métier, ... je leur dois tout !
Aujourd'hui, vous les mettez en péril: vous vous en prenez à leurs professeurs, en les stigmatisant par des propos infondés et erronés dans les médias, dans le but de les démoraliser pour déstabiliser tout un système qui fonctionne pourtant à merveille et qui a fait ses preuves... un système que d' autres pays européens nous envient !
Je me battrai, Monsieur le Ministre, avec mes collègues, avec mes étudiants, et avec mes tripes...pour que la raison l'emporte, pour que le principe de l'Excellence Républicaine par le mérite subsiste, ... et pour que les prépas survivent !
Je vous remercie, Monsieur le Ministre, de l'attention que vous porterez à cette lettre, et je vous prie de recevoir, malgré mon profond désaccord sur la façon dont vous menez votre refondation de l'école, l'expression de mes sentiments respectueux.
jphD ,Lycée Henri-Wallon, Valenciennes .
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